La Journée nationale de la vérité et de la réconciliation
La Journée nationale de la vérité et de la réconciliation est l’occasion de penser à l’impact profond qu’ont eu les pensionnats sur les enfants autochtones et d’essayer de mieux comprendre leur réalité. Une façon de le faire est d’écouter le témoignage de survivants.
Vous trouverez bon nombre de ces témoignages dans le document suivant, intitulé Les survivants s’expriment : un Rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada
Histoire d’une survivante
Terry Crosby, directeur des Relations avec les Autochtones, Conseil d’administration de Sashbear
Je veux partager une histoire personnelle avec vous. Ma mère, Jeannie Mianscum (Crosby), ainsi que son frère et sa sœur aînée, sont des survivants des pensionnats. Ma mère était parmi les plus de 150 000 enfants autochtones qui ont été enlevés de leurs familles et de leurs communautés.
Le pensionnat indien St-John’s, à Chapleau, Ontario, est le premier qu’elle fréquenta (photo 1). Elle y a été de 1946 à 1948. Cette école se trouvait à 776 km du domicile de ses parents.
Le deuxième, qu’elle fréquenta entre 1949 et 1951, était le pensionnat Bishop Horden Memorial, à Moose Factory, Ontario (photo 2). Cette école était située à 550 km du domicile de ses parents.

École résidentielle John’s Indian de Chapleau (Ontario)

École résidentielle Bishop Horden Memorial, Moose Factory (Ontario)
Dans sa deuxième année au pensionnat (photo 3), maman a été rejointe par son frère de cinq ans, lui aussi enlevé de force de sa famille. L’image de son frère criant et pleurant tandis que le train s’éloignait et l’angoisse de sa mère qui perdait son dernier enfant, hante encore ma mère à ce jour. À l’école, son petit frère était juste de l’autre côté de la clôture, mais elle n’avait pas le droit de lui rendre visite ni de lui parler, sauf brièvement à Noël et à Pâques.
Ma mère a commencé à me parler de son expérience il y a seulement environ sept ans. Les effets dévastateurs des pensionnats ont laissé une empreinte profonde sur elle et à quatre-vingt-cinq ans, les traces de ce cauchemar restent. Ma mère a vécu diverses formes d’abus au premier pensionnat et les choses se sont progressivement aggravées, et son déménagement dans le deuxième pensionnat n’a fait qu’accroître le traumatisme. Ma mère m’a dit qu’elle se sentait « traitée comme un animal ». Une clôture entourait le pensionnat et tant qu’elle y resta, elle n’a jamais dépassé cette clôture.

Il y a cinq ans, ma mère m’a dit « Qui veut y penser?… c’est trop dur… trop d’abus… je ne voulais plus jamais y penser ». Comme beaucoup de survivants, elle aurait pu bénéficier de parler de son expérience beaucoup plus tôt et d’essayer de faire en sorte que les gens écoutent et comprennent ce qui lui était arrivé dans les pensionnats, mais la question des pensionnats n’a que récemment été soulevée plus en détail par la Commission de vérité et de réconciliation, mise sur pied en 2008, avec son rapport final publié en 2015. Les survivants des pensionnats ont enfin trouvé leur voix pour exprimer les horreurs qu’ils ont vécues.
Quand j’ai demandé à ma mère (photo 4) de me raconter son histoire, je m’attendais à l’entendre me parler d’abus et d’isolement, mais je n’avais pas anticipé la tristesse et l’inquiétude qui la consommaient chaque jour alors qu’elle pensait à sa mère, devenue veuve. Ma mère ne cessait de penser à sa propre mère et l’idée qu’elle était désormais seule l’envahissait d’une profonde tristesse et d’inquiétude. Pour plusieurs survivants qui ont raconté leur histoire, « l’espoir de retourner dans leur communauté » est ce qui les maintenait en vie jour après jour. Pour les peuples autochtones, les relations très importantes.

Mon père, Ken Crosby (photo 5), d’origine anglaise/écossaise, est tombé amoureux de ma mère, une femme crie, et ça fait 58 ans qu’ils sont mariés. Mon père a dit ceci à propos de ma mère :
« J’ai remarqué que ses yeux étaient pleins de lumière et semblaient encore plus lumineux quand elle souriait ou riait. Ses dents étaient si parfaites que j’ai pensé qu’elles pourraient être fausses. Elle avait une voie paisible, timide même, mais sa force était profonde. »

Ma mère a élevé trois enfants biologiques et quatre enfants adoptés. J’ai un amour profond pour ma mère (photo 6). C’est une personne qui irradie la joie de vivre et qui a une attitude positive, et partout où elle va, son sourire l’accompagne. J’admire sa détermination à aller de l’avant malgré les traumatismes qu’elle a subis.
Aujourd’hui, je rends hommage à ma mère et aussi aux autres survivants des pensionnats indiens, pour leur force et leur résilience.
Je partage cette histoire avec vous dans l’espoir qu’elle vous aide à vous connecter avec le récit d’une survivante et à mieux comprendre ce qui s’est passé.
